Polysation des esprits

Publié le par Yohann ABIVEN

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que nous vivons les temps de la polyvalence. Poly- a décidément tout du préfixe progressiste, celui qui dévoile la modernité en marche. Car c’est la polyculture qui à permis les civilisations, les polyglotes ont rapproché les hommes, et les polygames… les femmes. Attendez un peu et nos routes fleuriront bientôt de polyspaces si du moins il reste assez de polymères bleu pétrole pour les faire avancer. Cette "polysation" de nos univers manque cruellement de fantaisie. On voit bien l'idéologie replète : l'être moderne doit pouvoir tout faire, partout, n'importe quand, voire en même temps. « Il ne faut jamais perdre une occasion de s'instruire », disait Joseph au petit Pagnol. C'était sa gloire à lui. Le brave Joseph se serait-il imaginé notre ère zappante où il faut perdre toutes les occasions de s'ennuyer? La nouvelle Playstation déclenchera-t-elle l'ennui? C'est pas prévu pour, en tout cas. L'objet concentre plusieurs offices : photo, musique, accès Internet, et accessoirement, ai-je envie de dire, des jeux. Comment s'ennuyer avec une telle bête? Et bien si ! L'on peut s'ennuyer avec cette machine objectivement pas assez polyvalente. Moi par exemple, quand un jeu vidéo a cessé de me distraire, je me mets à faire de la cuisine. Un voisin, lui, part se promener, en vrai, dehors. J'ai beau lui dire que, grâce à la polyvalence de l'appareil, il ferait sur le Net de bien plus beaux voyages, rien n'y fait, ce has-been continue à s'exposer dans la vraie vie des vrais gens. Tandis que moi, je suis empêché de virtuel. Les mets succulents, c'est pas ma playstation, pardon ma psp, qui va les réaliser. Ce serait pourtant si simple un cuit-vapeur qui ferait également console de jeu, un frigidaire qui serait aussi une imprimante. Tex Avery faisait de tels objets, si précieux au quotidien, les indices du monde de demain. Vous vous souvenez certainement de la célèbre maison de demain, ou la voiture de demain, dont l'un des modèles servait aussi de grille-pain. Quel beau monde ce serait là. Tout servirait à tout, partout, quand je veux, où je veux. Plus la peine de choisir quoi faire, puisque, par définition, je pourrais tout faire. Il en faudrait des gens doués pour construire de telles machines, pour préparer ce monde débarrassé de l'enquiquinant devoir de choisir. L'agence nationale pour l'emploi prépare manifestement cet aboutissement de l'humain, puisqu'elle vient de se faire l'auxiliaire d'un recrutement numéroté 144 585 X et typique de cette époque formidable où le progrès fait rage, comme disait l’autre. Une entreprise bretonne en pointe dans les nouvelles technologies de la communication recherche son « spécialiste du dialogue homme-machine ». Je pense que c'est un être de chair et d'os qui sera finalement embauché. Mais, sérieusement, qui a bien pu imaginer une formule pareille ? Un cybernéticien dérangé? Même pas, sans doute juste une machine, si polyvalente que parfois elle mime l'être humain. C'est triste, elle le fait bien.

Publié dans Vivre ensemble

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