Subversifs lycéens

Publié le par Yohann ABIVEN

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que le feu couve. Les livres brûlent, dit-on, à Fahrenheit 451. Sauf que les livres ne brûlent plus. Sauf, par accident, quand les écoles, réputées protéger les livres, s’enflamment. Habituellement, ce sont les automobiles qui brûlent. L’auteur de Fahrenheit 451 n’avait pas pensé à ça. Ou plutôt si, il y avait pensé et imaginé ces brigades qui consument l’imprimé car de mauvaises lectures, c’est bien connu, provoquent le vacillement de tout l’édifice social. Il faut, diront les conservateurs, protéger notre jeunesse des tentations écrites radicales, pour ne pas dire révolutionnaires. « Où as-tu été chercher une chose pareille ? Mais, maman, dans un livre ! ». La République du progrès et des instituteurs rêvait de phrases pareilles. Le livre est bel et bien au cœur du politique car, quand l’édition est libre, l’imprimé oriente l’emprise démocratique sur le monde. C’est dire la lourde responsabilité qui pèse sur les épaules de certains de nos lycéens, puisque certains de nos lycéens attribuent un prix Goncourt. Cette année, la belle récompense est allée à Sylvie Germain. Son Magnus est couronné. On apprenait le même jour que le record de véhicules incendiés avait été battu. Et ce n’était pas la faute à Magnus. Nous n’avons plus besoin de brûler les livres, les télévisions peut-être... Le calendrier a de ces fantaisies... Ce n’est pas qu’on aurait excusé les exactions des jours passés si elles avaient été appuyées sur des livres, elles nous auraient seulement été un peu plus familières, elle auraient fait écho aux libelles de Mai 68. Il n’y a plus rien de cela. A la place des textes, ce n’est que violence vaine et désespérée. Les manchettes sont devenues machettes, une génération peine à entrer en politique, tout en revendiquant, semble-t-il, les grands idéaux de la République. Tout va se jouer là. Quelle traduction politique vont avoir ces événements ? Quels leaders vont émerger ? Pour l’instant, les idées viennent d’ailleurs. Il faut autre chose aux cités que des porte-parole chanteurs ou footballeurs. La haine ne se monnaie pas sur le marché politique. Pour l’instant, il y a dramatiquement deux jeunesses dans ce pays : celle qui couronne les écrivains, celle qui caillasse les représentants de l’Etat, fût-il de droit. La première jeunesse, celle du Goncourt, est plutôt blanche, favorisée et elle met les mots à peu près dans l’ordre. La seconde jeunesse, celle qui met le feu à nos villes, a la peau moins blanche, le jean moins resserré et tend à inverser les syllabes. La France qui décide n’est pas à l’image de celle qui subit. Ce n’est sans doute pas une nouveauté, mais désormais cela se remarque. Et attribuer le Goncourt des lycéens à Sylvie Germain, dont les talents littéraire reconnus par tous ne sont pas ici en cause, fait tout de même office de symbole redoutable. Je ne dis pas qu’il ne fallait pas récompenser Magnus, l’ouvrage le méritait bien. C’est juste le moment où ça intervient, cette pauvre Sylvie Germain devient malgré elle l’icône du mythe France, un pays catholque de culture républicaine aux beaux enfants bien élevés, ou comme le dit Younès, emploi-jeune à 28 ans (le propos est recueilli dans le livre de Stéphane Beaud, Pays de Malheur) : « J’aurais aimé être fils de profs, aller dans un lycée de bourges, fréquenter les salles de concerts et les bars branchés, voter socialiste ou Vert pour me donner bonne conscience ». Qu’est-ce que vous lui répondriez, vous, à Younès ? De lire des livres ?
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article