Subversifs lycéens
On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que le feu couve. Les livres brûlent, dit-on, à Fahrenheit 451. Sauf que les livres ne brûlent plus. Sauf, par accident, quand les écoles, réputées protéger les livres, senflamment. Habituellement, ce sont les automobiles qui brûlent. Lauteur de Fahrenheit 451 navait pas pensé à ça. Ou plutôt si, il y avait pensé et imaginé ces brigades qui consument limprimé car de mauvaises lectures, cest bien connu, provoquent le vacillement de tout lédifice social. Il faut, diront les conservateurs, protéger notre jeunesse des tentations écrites radicales, pour ne pas dire révolutionnaires. « Où as-tu été chercher une chose pareille ? Mais, maman, dans un livre ! ». La République du progrès et des instituteurs rêvait de phrases pareilles. Le livre est bel et bien au cur du politique car, quand lédition est libre, limprimé oriente lemprise démocratique sur le monde. Cest dire la lourde responsabilité qui pèse sur les épaules de certains de nos lycéens, puisque certains de nos lycéens attribuent un prix Goncourt. Cette année, la belle récompense est allée à Sylvie Germain. Son Magnus est couronné. On apprenait le même jour que le record de véhicules incendiés avait été battu. Et ce nétait pas la faute à Magnus. Nous navons plus besoin de brûler les livres, les télévisions peut-être... Le calendrier a de ces fantaisies... Ce nest pas quon aurait excusé les exactions des jours passés si elles avaient été appuyées sur des livres, elles nous auraient seulement été un peu plus familières, elle auraient fait écho aux libelles de Mai 68. Il ny a plus rien de cela. A la place des textes, ce nest que violence vaine et désespérée. Les manchettes sont devenues machettes, une génération peine à entrer en politique, tout en revendiquant, semble-t-il, les grands idéaux de la République. Tout va se jouer là. Quelle traduction politique vont avoir ces événements ? Quels leaders vont émerger ? Pour linstant, les idées viennent dailleurs. Il faut autre chose aux cités que des porte-parole chanteurs ou footballeurs. La haine ne se monnaie pas sur le marché politique. Pour linstant, il y a dramatiquement deux jeunesses dans ce pays : celle qui couronne les écrivains, celle qui caillasse les représentants de lEtat, fût-il de droit. La première jeunesse, celle du Goncourt, est plutôt blanche, favorisée et elle met les mots à peu près dans lordre. La seconde jeunesse, celle qui met le feu à nos villes, a la peau moins blanche, le jean moins resserré et tend à inverser les syllabes. La France qui décide nest pas à limage de celle qui subit. Ce nest sans doute pas une nouveauté, mais désormais cela se remarque. Et attribuer le Goncourt des lycéens à Sylvie Germain, dont les talents littéraire reconnus par tous ne sont pas ici en cause, fait tout de même office de symbole redoutable. Je ne dis pas quil ne fallait pas récompenser Magnus, louvrage le méritait bien. Cest juste le moment où ça intervient, cette pauvre Sylvie Germain devient malgré elle licône du mythe France, un pays catholque de culture républicaine aux beaux enfants bien élevés, ou comme le dit Younès, emploi-jeune à 28 ans (le propos est recueilli dans le livre de Stéphane Beaud, Pays de Malheur) : « Jaurais aimé être fils de profs, aller dans un lycée de bourges, fréquenter les salles de concerts et les bars branchés, voter socialiste ou Vert pour me donner bonne conscience ». Quest-ce que vous lui répondriez, vous, à Younès ? De lire des livres ?