Le législateur meurt dans l'indignité

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On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que, parfois, en face de certaines questions compliquées, on a envie de faire comme France Gall, « débranche, débranche, débranche tout... » En particulier, si j'ose dire, quand on parle de la fin de l'existence, sereine pour les uns, traversée de maux et de douleurs pour les autres. Et parfois, la vie ne tient plus qu'à un tuyau. Et parfois la question se pose de rompre ou non l'artifice qui maintient dans l'ici-bas. Et toujours la question se pose de savoir à partir de quand les instruments peuvent être éteints et le moribond adressé à Saint Pierre. Un hebdomadaire chrétien qui d'habitude témoigne, cette fois pose le débat et invite à s'exprimer, d'abord dans les colonnes, ensuite en public. « Euthanasie, faut-il franchir le pas ? », tel est le titre de cette série de contributions. Sur le papier, et l'expression n'a jamais sans doute été aussi appropriée, un philosophe et une psychothérapeute donnent leur sentiment. La première, celle du philosophe, après avoir relevé, ce qui resterait à vérifier, que nous vivons désormais « à une époque où toutes les douleurs peuvent être vaincues », après aussi s'être servi d'une série d'effets de mots qui attisent plus la confusion qu'ils n'éclairent le raisonnement, en arrive à la question traditionnelle, et sans doute finalement pas pertinente en cette délicate matière : « Pourquoi faudrait-il que le consentement de la victime modifie la nature éthique de l'acte par lequel une personne décide de mettre fin à la vie d'une autre personne ? ». La question ne mange pas d'encre, sa réponse dans la vraie fin de vie est cependant plus complexe que l'auteur l'imagine, d'autant plus que certains malades ont perdu jusqu'à la conscience pour formuler un consentement. Bref, tout cela est un rien plus compliqué. La psychothérapeute, sur la page d'en face, prend le problème autrement, s'évertue à tourner autour du pot et en termine par des propos de fée Clochette : « Un jour à l'hôpital, quelqu'un m'a donné un petit papier avec un poème. J'en ai retenu ces mots qui n'ont cessé de me porter : « Tu comptes pour moi, tu a du prix à mes yeux ». « Mourir dans la dignité », c'est, pour moi, mourir comme un vivant parmi les vivants. Donner-recevoir-donner et cela comme un souffle dont on ne sait où il commence et où il finit. J'ai reçu la vie, j'ai donné la vie jusque dans l'approche de ma propre mort. Cela seul compte. Là est, je le crois, notre dignité devant la mort. » Ici encore, je me demande ce que cette considération verse d'intéressant au débat. Ces lignes finales sont peut-être de nature à alimenter la délibération intérieure, celle que l'on fait avec soi-même, mais elles sont parfaitement inopérantes dans la cité. On soupçonne que notre auteure ait fréquenté Lévinas, mais, comme beaucoup, elle n'aura retenu de ce monument du siècle que la première partie, celle qui traite de l'altérité, en omettant la seconde, celle qui traite de la communauté des hommes, et de la manière dont le loi y inscrit la justice. Précisément, dans ce débat qu'inaugure l'hebdomadaire catholique, c'est le siècle qui est absent, et la manière dont le siècle vient à nous : par la norme. Au prochain débat, ce seront trois médecins qui seront les invités de la publication. C'est nécessaire sans doute pour informer exactement nos consciences, mais sauf à ce que le biopouvoir cher à Foucault ait été instauré dans la nuit, il ne me semble pas que ce soit aux scientifiques de dire et de faire les lois. Cette tâche revient à des hommes ordinaires, qu'on dit législateurs. Pourquoi sont-il tant absents des débats éthiques, eux qui au final seront appelés à trancher ? Sont-ils donc si peu compétents ? Faire imprimer des sentences cul-cul à la manière de notre amie psychothérapeute, ou éculées à la manière de notre philosophe, est toujours aisé. Inscrire l'indécidable dans la norme est en revanche extrêmement compliqué. La réflexion collective sur la fin de vie devrait toujours viser ce qui compte et que tout le monde veut ignorer : la règle toujours imparfaite d'une société de liberté. C'est ainsi qu'on fait Solon et d'autres sages faiseurs de bonnes lois. 

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