L’abus de subsidiarité est plus à craindre que l’abus d’uniformité

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On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce qu'au cours de l'été, c'est encore un peu de notre République qui a vacillé. Une fois encore, les choses ont changé. C'est un fait, les choses changent. Et certainement les choses changeront, ce billet s'en fera régulièrement l'écho, puisque c'est devenu une heureuse habitude. Donc, pour revenir à nos moutons, Bastille, République, Nation pleurent. La faute à qui ? La faute à Bruxelles, ou plus exactement la faute à Strasbourg, ce qui revient un peu au même. La faute à l'Europe en tout cas. La lâche retraite républicaine est venue d'un homme de l'UMP, un ancien ministre qui décidément ne respecte même plus Celle qui l'a nourri. Ce monsieur s'appelle Alain Lamassoure, et il est l'auteur d'un rapport au Président de la République, 188 pages classiquement intitulées « Le Citoyen et l'Application du droit communautaire ». Qui aurait sérieusement l'idée de consulter ce pensum administratif, sauf sans doute pour entrer dans la carrière quand les aînés n'y seront plus, apprendre, puis faire apprendre à rédiger ces immanquables lignes d'anti-héros ? Et bien cette idée je l'ai eue. Le juriste refoulé qui sommeille en moi a lu la prose de M. Lamassoure. Au delà du plaisir quasi extatique que j'ai pu ressentir à l'idée d'être à coup sûr le seul au monde à compulser « Le Citoyen et l'Application du droit communautaire » en plein mois d'août - le sens de la distinction s'est aussi tapie en moi -, au delà donc du péché d'extase, ce fut bel et bien un abandon désormais revendiqué à la jouissance estivale tant « Le Citoyen et l'Application du droit communautaire » sort de l'ordinaire, tant « Le Citoyen et l'Application du droit communautaire » regorge de sincérité, de fantaisie, d'intelligence, de liberté. Il ne fait pas de doute qu'une telle synthèse produite dans les bureaux de nos ronds-de-cuir tue-l'amour aurait été écartée. Nos jurys-coincés-qui-s'y-croient l'auraient jugée sévèrement. Le rigolo monsieur Lamassoure n'aurait pas été retenu à un emploi au service de l'Une et Indivisible. Ni Jean Poiret ni Michel Serrault, hélas, n'ont écrit de manuel de contentieux administratif même s'ils étaient en bon chemin...


Fort heureusement, monsieur Lamassoure est plutôt en position de recruter au service de l'Etat, et de l'Europe, et il faut souhaiter que ses choix à venir témoigneront d'autant de sagesse moderne. Ce que ni Poiret ni Serrault n'avaient osé, Alain Lamassoure, jamais futile, jamais frivole, jamais inutile, jamais oiseux, lui l'a fait. Fait quoi ? Remis au Président de la République un bilan de droit international privé plein d'esprit et de fantaisie. La thèse est simple(tte) : il y a l'Europe telle qu'on la dit et l'Europe telle qu'on la vit. Et, dans la vraie vie, à en croire monsieur Lamassoure, Ubu est roi d'Europe. Même que c'en serait décourageant. Par exemple, où avez-vous vu un espace unique pour les hommes, les femmes, les enfants d'Europe ? Et ne parlons pas des minous d'Europe. Jugez la gravité de la plume parlementaire : « Le matou germanique peut abuser des croquettes de poisson Félix pour 2,68 euro, laissant son congénère gaulois contraint de se serrer le collier à 2,94. En revanche, notre minou tricolore pourra se prélasser sur sa litière « Hygiène plus » pour 4,64 euro, la sachant hors d'atteinte pour le félin Teuton à 4,96. »  Car l'Europe n'est même pas un tigre de papier, c'est seulement un vieux chat, aussi fourbe, aussi sournoise, aussi doucereuse à l'occasion, hypocrite au quotidien. Notre auteur s'étonne encore de la pérennité d'un régime des travailleurs transfrontaliers au sein d'un marché qui par ailleurs se dit « unique » et fournit au passage les chiffres de la maigre mobilité des salariés en Europe. L'invasion des plombiers de l'Est n'est pas pour demain. Tout ça coûte des sous, et le salarié exporté au passage, lui, risque d'en perdre : ses droits à pension peuvent s'évanouir en passant le pont d'Arcole. Ca fait réfléchir...Saviez-vous que les programmes Erasmus, tant vantés à l'université, font circuler les étudiants, mais pas les diplômes ? Et n'imaginez pas enseigner votre langue maternelle en France. Car c'est là l'autre intérêt du rapport, celui de mettre en lumière les crispations françaises à l'égard de ce qui n'est pas de chez nous, peu importe le ridicule. C'est que la Fonction publique ne mélange pas les torchons et les serviettes, nous avons eu tellement l'occasion de le dire sur ces ondes. « Il est proprement scandaleux sur le plan communautaire, s'emporte avec raison monsieur Lamassoure et absurde quant à l'efficacité de notre système d'enseignement que la France continue de se faire gloire d'interdire à des étrangers des pays voisins d'enseigner leur langue maternelle chez nous ». Le cas épineux des immatriculations automobiles est aussi passé en revue et « un sénateur des Français de l'étranger qui a voulu faire l'expérience a mis six mois pour obtenir le changement de plaques d'immatriculation de son automobile Citroën. Un haut diplomate du Quai d'Orsay, pourtant fort d'une longue expérience consulaire, a reconnu avoir préféré garder sa plaque étrangère depuis quatre ans, par découragement devant la complexité, la longueur et le coût des formalités exigées par le service des Mines. » On raconte que des beaufs messieurs préfèrent leur voiture à leur femme (homme), ceux-là sont de meilleurs Européens. L'agrégation des 27 droits de la famille aboutit à des résultats gaguesques, une « course haletante entre tortues, escargots et bernard l'ermite », comme le dit joliment monsieur Lamassoure Les « étranges pudeurs de l'Europe du droit » ont fini par dépasser Marivaux. De fait, « cette ignorance mutuelle des droits reconnus dans un pays voisin satisfait nos chauvinismes juridiques tant qu'elle ne va pas jusqu'à l'ignorance des réalités. Secrétaire général de la Commission internationale de l'état civil, le professeur Lagarde observe qu'un pays qui ne reconnaît pas les mariages entre homosexuels contractés légalement ailleurs sera juridiquement contraint de permettre, sur son territoire, à l'un de ces conjoints de convoler en justes noces avec une personne de l'autre sexe, sans que la bigamie ne soit opposable. On peut faire confiance à la presse de mœurs pour exploiter, voire pour susciter, le premier cas d'une situation aussi croustillante. L'opinion se divisera alors sur les conséquences morales d'une telle percée juridique, mais elle s'unira pour clouer au pilori cette Europe gyrovague, qui favorise les unions polygamiques et multisexuelles. »

 


« Une légende tenace, et fausse, s'amuse enfin monsieur Lamassoure, prête à Jean Monnet la formule : « Si c'était à refaire,je recommencerais par ... » Selon les préférences des orateurs, on cite la culture, l'art, la science, le sport, la gastronomie, l'écologie, etc. » Si c'était à refaire, il faudrait commencer par l'intelligente désinvolture et l'impertinence, une manière à tenter pour rapprocher l'Europe telle qu'on la vit des gens tels qu'ils vivent et se dire qu'au fond, on vivrait tellement mieux en faisant enfin l'Europe.

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