Un autre, et un autre, et puis un autre, encore un autre, et puis UNE autre !

Publié le par Yohann Abiven

 

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que l’étrange rite s’est accompli. Du moins l’introït, puisque la liturgie républicaine, elle, n’est pas venue sauver tous les candidats, mais deux, puis un, puis une ou… un. Un bureau de vote au petit matin, c’est solennel et dérisoire à la fois. C’est solennel pour l’homme mûr chaque fois qu’un jeune s’y présente et c’est dérisoire pour un jeune chaque fois qu’un homme mûr en franchit le seuil. Que se passe-t-il quand un jeune s’approche de la sainte arche ? L’homme mûr essuie une larme, il se rappelle la Marseillaise et qu’ils entreront dans la carrière quand leurs aînés n’y seront plus… Les jeunes savent encore se lever tôt, c’est tout un pays qui se remet au travail… le dimanche, l’unité de la nation à nouveau en marche, ne cours plus camarade, la rupture n’est même plus devant toi, elle est là, alléluia. Que se passe-t-il  au contraire quand c’est l’homme accompli qui met son bulletin dans l’urne ? Et bien, un monsieur ou une dame, désigné(e) à cet effet, annonce presqu’à la cantonade le nom et la date de naissance du quidam, ce qui permet justement d’apprécier le degré d’accomplissement de l’électeur. L’homme que j’avais l’autre jour devant moi au moment du geste de la rupture était très accompli, né le 17 octobre 1913. Le dérisoire est là. L’âge de l’auguste vieillard le dévoile. Un peu plus et il ferait retourner dans l’isoloir car, tout compte fait… Faisons les comptes, précisément. Combien de présidents de la République ce vénérable ancien a-t-il connu ? Raymond Poincaré venait tout juste de gravir le perron de l’Elysée. Il y passera sept années, avant de laisser la fonction à Paul Deschanel pour un court laps de temps, puisque le Président finit par préférer les maisons des gardes-barrière aux palais de la République. Comme on ne pouvait pas conserver le mandat d’un homme qui se baignait dans les bassins du château de Rambouillet, les parlementaires désignèrent Alexandre Millerand, plus raisonnable, pour succéder à Deschanel. A cette époque, l’électeur croisé au bureau de vote ce dimanche d’avril 2007 avait tout juste 7 ans. Trop jeune sans doute pour se rappeler le passage mouvementé de Millerand à la tête de l’Etat. Le Président Alexandre Millerand expérimenta ou plutôt n’expérimenta pas la première cohabitation de l’histoire républicaine. Une majorité parlementaire hostile l’obligea a rendre son beau tablier en 1924. Gaston Doumergue dura un septennat. Nous sommes en 1931 et notre ami électeur aurait déjà pu voter si la majorité à cette époque avait été fixée à 18 ans. Il ne sera donc pour rien dans l’élection, indirecte, de Paul Doumer en 1931, ni probablement dans son assassinat l’année suivante. Vient le tour d’Albert Lebrun gravé dans le sillon par Sardou. Et puis ce sont les heures sombres, un maréchal nommé Pétain, notre ami électeur accompli a dû connaître la drôle de guerre. Il ne participe indirectement à sa première élection présidentielle qu’en 1947, quand les chambres désignent Vincent Auriol, puis René Coty en 1954. Il faut dire que Mme Coty est davantage demeurée dans les mémoires. La Quatrième est décolonisée de l’intérieur et remplacée par la Cinquième République en 1958. L’élection présidentielle fait appel à un collège électoral de notables, qui confie les clés au sauveur de la nation. Le suffrage universel opère en 1965 et cette fois-là sans doute, notre ami électeur millésime 1917 était venu avec madame. Le suffrage s’était ouvert au genre à la Libération. De Gaulle, Poher, Pompidou, Poher, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac, notre ami électeur âgé continue à les aligner. Et puis un autre, ou une autre, dans quinze jours. Quinze jours et quatorze présidents, car il me semble qu’il faut enlever un Pétain et deux Poher. Et oui,

Tourne manège mon joli manège

Tourne et retourne doucement

Emmène-nous sur tes chevaux de neiges

Au pays de l'enchantement.

Quatorze Présidents et comme le héros de Tolstoï, cet homme né le 17 octobre 1913 en demande encore, un peu comme s’il nous disait à nous qui nous sommes impliqués dans cette campagne électorale :

Bonjour petits je suis le père Pivoine

Je vous entends depuis si longtemps

Bonjour petits le vieux père Pivoine

Vient de retrouver ses 20 ans.

Puissions-nous vous entendre, monsieur…

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