Vous n'aimez pas l'argent ? Rendez-le !

Publié le par Yohann Abiven

 

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce qu’un certain rapport au monde et au choses s’évanouit. Un certain socialisme s’en va, cette fraternité républicaine qui était sans doute aussi celle de Blum et de Jaurès. Blum fut un grand homme. On en est sûr depuis que le pays sait que Léon Blum a résidé chez Gwenn-Aël Bolloré, dans un luxueux manoir du Finistère, harassé par la déportation. « L’événement fit grand bruit dans le pays, raconte Gwenn-Aël Bolloré dans ses mémoires, et mit le comité d’entreprise de l’usine, que je présidais à l’époque, dans l’embarras : le leader du Front populaire était en résidence chez le patron... » Gwenn-Aël Bolloré avait beau être le patron, il n’était pas un « salopard », le mot est de Léon Blum. La famille Bolloré n’avait pas transigé avec le Nazi, elle fut résistante aux cotés du Républicain. Entre un patriote et un homme d’Etat, l’entente devait se faire, l’idéologie se retirer car, à en croire Gwenn-Aël Bolloré, l’esprit du Président du Conseil « avait superbement supporté l’épreuve et sa conversation ne manquait ni de charme ni d’enseignement. » Marx était loin des salons de Beg-Meil, c’est la République restaurée, démocratique et libérale, qui devisait. L’exploitation bourgeoise, Blum l’aura opiniâtrement et avec raison dénoncée, sans en faire au fond la détermination manichéenne de l’histoire. Il savait l’homme pluriel. La famille de Léon Blum s’est hélas couvert de ridicule en niant cette convalescence sur le front de mer, équipée inimaginable car l’aïeul n’était pas l’homme des châteaux. Mais la famille Bolloré n’a pas non plus fait preuve de davantage de dignité en ressortant des cartons cette vieille histoire si respectable et connue des Quimpérois, pour justifier une autre aventure maritime, celle de Nicolas Sarkozy en Méditerranée dans un château qui flotte. Cependant, cette polémique inattendue confirme une originalité de la campagne présidentielle que peu ont rapportée. Je crois que nous avons vécu une campagne post-sécularisée, décomplexée comme l’on dit à droite. Le basculement ne réside pas tant dans une conception renouvelée du travail, de l’identité et du marché que dans l’essoufflement du rapport autrefois judéo-chrétien à l’argent. On n’en parlait guère, voilà qu’on en parle. A droite, le nouvel occupant du palais de l’Elysée a des sous, et ne s’en cache pas. Il profite des largesses d’amis fortunés, il le revendique. A gauche, la fameuse refondation du socialisme a aussi quelque chose à voir avec cela. Les refondateurs, pour l’essentiel les Strauss-Kahn’s boys, ne refondent pas parce qu’ils accepteraient l’économie de marché, tout simplement parce que je ne connais plus personne au Parti socialiste qui refuse radicalement l’économie de marché. L’économie de marché, un élu socialiste n’en parle jamais, il la pratique, certes à des dosages parfois différents. Souvent même il la développe en la faisant, on l’espère, sociale. L’ambiguïté qui divise le Parti socialiste n’est pas là. Elle réside très exactement dans l’acceptation du profit, de l’enrichissement et au final, des canons de « notre quinzaine, déjà le caddy vous entraîne, vivez la vie en grand format, vous êtes les rois, vous êtes les reines du royaume de Consorama » (Juliette, « Consorama », Rimes féminines, Polydor, 1996). Les artisans inconscients du compromis, les avocats irréalistes du ticket Royal/Strauss-Kahn s’épuisent pour rien, tant cette reddition serait repoussée avec horreur par la partie, si j’ose dire, complexée. Où la gauche doit-elle savourer son caviar ? Tapie de culpabilité derrière les murs des beaux appartements ou coming-outée aux terrasses germanopratines ? C’est comme la fin de 68 !

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