Il nous faisait marchais...

Publié le par Yohann Abiven

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que la télévision n'est parfois pas aussi exacte que la radio. Ainsi lundi de la semaine dernière, la chaîne Public Sénat devait diffuser une émission habituelle : "Bouge la France", qui consiste à faire asseoir quelques sommités de la cité autour de Pierre Sled. Me voici donc lundi soir, telle Bernadette, installé devant la lucarne magique, dans l'attente de cette France qui bouge, tant vantée par l'hebdomadaire télévisuel des professeurs. Et qu'est-ce qui apparaît dans le poste, ou plutôt qui ? Georges Marchais ! Je faisais face au premier secrétaire du parti communiste français. L'homme rouge était accompagné d'Alain Duhamel, qui ressemblait à un jeune stagiaire de Sc. Po Paris nommé à la télévision nationale, et de Jean-Pierre Elkabach, qui était déjà l'allié objectif du capitalisme bourgeois. M. Marchais devait mettre "cartes sur table", car telle était le nom de l'émission. Nous étions quelques semaines avant l'élection présidentielle de 1981. Mais nous étions aussi lundi de la semaine dernière. Y avait-il eu erreur de bobine ? Etait-ce l'effet du mouvement social, la conséquence d'un sabotage à la TNT ? Ou, plus inquiétant, la rupture promise et appliquée était-elle allée jusqu'à bousculer l'ordre du temps ? Mon malaise en face d'un subit dérèglement de l'époque allait grandissant, même si, tout de même, je conservais à l'esprit que je regardais la chaîne du Sénat, où, par définition on savoure le temps. Je décidais à mon tour de savourer et passais donc la soirée dans l'opposition radicale à la Giscardie et à François Mittttttttttttrand. J'aurais pu regretter cette programmation incongrue, dire que c'est un scaaaaaaaandale, mais non je pris le temps d'écouter feu le premier secrétaire car il n'en existe plus, hélas, d'aussi abracadabrantesque. Cartes sur table fut ce soir-là… tarte sur table. Deux petits bourgeois tentaient de dompter le fauve des masses laborieuses. Comme M. Duhamel, à qui on a fait un si mauvais procès, comme M. Duhamel donc, doit regretter ces soirs de 1981. Comme il s'amusait en ces temps heureux, ses traits d'esprit grippaient presque le mécanicien de l'idéologie, ce monsieur Marchais qui avait vraiment réponse à tout, mais réponse à ses questions et uniquement à celles-là et surtout pas à celles des deux marionnettes du capital. Mais jamais MM. Duhamel et Elkabach ne transigeaient avec la gravité républicaine alors même que pareille situation aurait déjà fait rougir un mormon. Monsieur Marchais enchaînait les analyses. L'entrée de l'Espagne et du Portugal dans la Communauté économique européenne allait ruiner notre agriculture et notre industrie du bâtiment. La concurrence des pays du Tiers Monde ne devait susciter en revanche aucune inquiétude, ils n'y arriveraient jamais. Non, ceux qui allaient fermer nos usines, c'étaient surtout les Allemands. Toute notre industrie, nos machines outils (vous aussi vous aviez oublié cette noble expression ?), risquaient d'être délocalisés en... Allemagne. Il fallait fermer au plus tôt nos frontières à ce marché unique cher aux exploiteurs du prolétariat menés par Giscard d'Estaing et suivis de près par la social-démocratie. L’homme ne promettait rien, en bon marxiste il appuyait son programme sur les lois historiques du développement de l’Occident. On comprenait que 
« Rien ne serait comme avant, si j'étais président
Au bord des fontaines coulerait de l'orangeade
Coluche notre ministre de la rigolade
J’imposerais des manèges sur toutes les esplanades
On s'éclaterait vraiment, si j'étais président ! »
 
Finalement, ce n'était peut-être pas qu’une erreur de programmation... J'étais rassuré.

 

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