La SNCF nous Mans

Publié le par Yohan ABIVEN

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que notre compagnie nationale des Chemins de fer refait le monde, redessine la France, certains de ses paysages et surtout sa langue qui, dans les wagons, que dis-je, dans les voitures, adopte des tournures inédites. Plus précisément, c'est l'article défini "le" qui bénéficie à la Sncf d'un autre, si j'ose dire, régime spécial. En entendant, au début d'un voyage, que "we are pleased to welcome you in the wagon of bar", on a souri, car en chaque Français réside, c'est bien connu, un petit reste d'anglophobie. C'est toujours ça de pris pour la perfide Albion, pensions-nous... Cependant, en abordant les merveilleux rivages de la Sarthe, en approchant sa capitale, voilà la géographie bouleversée et le parler bien trahi. Nous allions en effet entrer "en gare de Le Mans", et non plus, comme nos maîtres nous l'avaient appris, en gare du Mans. On objectera qu'il peut, qu'il doit se trouver des non-francophones dans les boîtes de métal qui foncent vers la préfecture de la Sarthe et qu'il serait tout de même malheureux de leur faire louper leur destination pour de sombres histoires phonétiques. A cela, j'objecterai à mon tour qu'après tout lesdits non-francophones ont bien dû comprendre que "we are pleased to welcome you in the wagon of bar" et qu'alors le conducteur du rapide convoi n'a qu'a dire "we are arriving at the station of Le Mans". Comme ça on ne modifie rien au nom de cette ville décidément délicat. Pas autant néanmoins que le département du Pas-de-Calais qui, à en croire Coluche, faisait faire demi-tour à pas mal de touristes deçus du démontage inopiné de la ville des bourgeois du même nom. Non, quitte à massacrer une langue, autant que ce soit celle de l'autre côté du Channel.

 

Il faut donc dire du Mans et non de le Mans, ou de Le Havre.

 

Sauf si, naturellement, les appellations Le Mans ou Le Havre ont fait l'objet d'un dépôt auprès de l'Institut national de la propriété industrielle. Dans ce cas, la formule sera protégée des altérations qui pourraient venir tiédir sa valeur. Et c'est que Tgv est une marque déposée depuis 2000. Il convient donc d'employer l'acronyme comme tel, nu de tout article. On ne dira donc pas "un Tgv" ni "le Tgv" ou pire, "mon Tgv", mais juste "Tgv". On monte à bord de Tgv, rappelle salutairement le magazine qui justement s'appelle Tgv et, quand il s'agit de désigner un convoi spécifique, il faudra dire "la rame Tgv" ou encore le "train Tgv n° bidule". Jamais non plus depuis 2000, on ne voyage "en Tgv" mais bien sûr seulement "avec Tgv". Fred Vargas, par exemple ne s'y trompe pas dans Tgv-magazine, hors-série de septembre 2006, en confessant : "Il m'arrive de faire des rêves extraordinaires. Seul le train, Tgv en particulier, permet encore ça". L'auteure de romans policiers dit bien le train, mais juste Tgv, un peu comme dans Sacré Graal des Monthy Python : "Comment vous appelez-vous? Zout. Zout comment ? Zout, juste Zout..."

Curieusement, si notre bon vieux (25 ans) Tgv est devenu juste Tgv, et bien la Sncf est demeurée la Sncf. Il est juste de dire la Sncf et non juste Sncf, le saint des saints n'a pas été atteint, le service public a aussi un honneur grammatical. Nous continuerons donc à parler des agents en colère de la Sncf et non de je ne sais quelle improbable novation stylistique du genre "les agents sncf en colère". Parmi ces agents, il y a Mme Mireille Faugère, plus qu'une agente puisque Mme Mireille Faugère est, à la Sncf, "directrice Voyageurs", avec un V majuscule. Voyageurs n'est sans doute pas une marque protégée, mais reconnaissons qu'une directrice des voyageurs aurait fait micheline à l'heure où la vélocité de Tgv réinvente le voyage, devenu dans l’apothéose verbale de la directrice-Voyageurs "un lieu de vie, une expérience qui vous transporte, au sens propre comme au sens figuré".

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En chaque Français n réside pas un reste d'anglophobie. C'est nous qui descendons à Waterloo, pas eux à Austerlitz:)http://destiny.blog.lemonde.fr/destiny/
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