Police des idées

Publié le par Yohann ABIVEN

On ne voit pas la ville à cause des maisons. Parce que sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur. On a fini par le savoir à force de le lire au-dessus de la manchette du Figaro. Nous avons aussi le droit de blâmer la presse. Car ces temps derniers une certaine presse, que l'on savait pourtant honorable, réalise un bien curieux travail d'accompagnement des idées reçues et ministérielles. Plusieurs descentes gendarmesques ont eu lieu dans « les cités », après la lâche agression de deux fonctionnaires de police. Que les coupables soient activement recherchés, rien évidemment de plus légitime. Que des opérations de fouille des caves et des appartements soient engagées dans le respect de la loi et des personnes, rien évidemment de plus légitime, si l'établissement des responsabilités, et donc le travail de la justice, l'exigent. Mais que des descentes policières viriles soient organisées dès pôtron minet, avec micros et caméras, rien cette fois de moins légitime. Le service de presse des armées et le cabinet du ministre ont dû se dire que c’était là l’occasion d’adresser à l’INA et donc à l’éternité, des images inoubliables d’une République qui sait encore se faire respecter. Les images, chacun de nous en a vu quelques-unes. Et en effet la postérité risque de s’en souvenir. J’ai vu cinq policiers en train de courir, quatre autres gravissant une cage d’escalier, un commissaire frappant… à une porte. J’ai vu aussi une équipe d’inspecteurs et de bleus comme l’on dit dans les commissariats, réveiller la mère d’un jeune suspect, avant de procéder à l’inspection de l’appartement. J’assistais au lever brutal d’une femme déboussolée et au français plus qu’improbable. La perversité de nos fenêtres médiatiques domestiques, c’est qu’elles nous font oublier que les gens qu’on y regarde ne sont pas en réalité derrière l’écran. On perd de vue le fait qu’il faut un medium, une caméra, pour que les images parviennent jusqu’au doux cocon de nos maisons sages. La caméra fait de nous des voyeurs, mais pas des voyeurs invisibles. Une caméra, comme d’ailleurs ce micro, c’est un engin à double détente, à double focale. Grâce à elle, on voit et on oublie qu’on est vu. Autrement dit, il y  avait une caméra en face de cette pauvre femme affolée qui saisissait sa robe de chambre. Et là, un peu comme Tati dans Play-Time, on se demande au fond qui regarde qui. Est-ce que c’est moi qui regardais cette femme par le biais du « reportage » ou était-ce cette mère de famille qui me regardait lui dire, par le biais de la caméra : « T’as pas honte ? Tu pourrais élever un peu mieux tes gosses ! ». Un quotidien national a publié la tribune d’un professeur de philosophie faisant de l’Islam, et de ses fidèles, des êtres sanguinaires par nature. Et voilà notre professeur réduit à se cacher car des menaces de mort lui ont été adressées par des islamistes. On voudrait reconnaître la véracité des dires du professeur qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Une pétition circule pour défendre le professeur Redeker au nom du droit absolu de dire tout et n’importe quoi. On ne règle pas un conflit d’idées par des bombes et des assassinats, cela va de soi, les tribunaux sont là pour accueillir ce genre de choses. Il reste que ce texte excessif, cette réflexion (si on ose le mot) déplacée, cette nouvelle affaire de caricature méritait sans doute d’autres colonnes que celles du Figaro, la presse d’extrême droite est là pour accueillir ce genre de choses. Depuis, on se demande, au fond, qui déteste qui. Est-ce l’Islam qui déteste l’Occident ou l’Occident qui déteste l’Islam ? Le Figaro dit en gros aux musulmans : « Vous n’avez pas honte ? Vous pourriez lire autre chose que le Coran ! » Le Figaro fait comme la caméra dans la chambre de la dame, cette mère de famille du Maghreb qui devait préférer Mahomet à Jésus. Et le fanatique Redeker ajouterait du fond de son exil : « La preuve, elle a un fils délinquant ! » Que le professeur Redeker ait droit à la vie sauve, c’est bien le moins mais de là à défendre ses billevesées haineuses, il y a un pas qu’une République qui veut se faire respecter devrait s’interdire de franchir, justement au nom du respect. On a hélas sans doute les martyrs que l’on mérite…

 

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